La douance, cet artiste des temps modernes

La douance, cet artiste des temps modernes

Par Leah J. Hamilton 

« Y’é dont ben spécial ton gars! » me sort un jour une connaissance dans son plus beau parler québécois! « Hey! Y’é chanceux lui, y va aller loin! » me disent souvent les inconnus que je croise en présence de mon enfant. Ce genre de remarque résume très bien l’opinion que se font la plupart des gens au sujet de la douance. Une fausse perception de facilité innée, enviée par plusieurs, mais incomprise de tous. La douance semble être l’oeuvre d’un artiste ayant façonné de petits humains magiques au potentiel extraordinaire, laissant au passage des différences marquées et évidentes. On étiquette les surdoués de: « vieilles âmes », « petits vites », « nerds » et même de « sauvages ». On dit d’eux qu’ils sont arrogants, par leur désir de perfection constant et leur niveau de connaissances élevé. À l’inverse, ils sont perçus comme paresseux et capricieux, vu leurs intérêts changeants et leur sensibilité démesurée. On célèbre leur quotient, mais on discrédite l’intensité de leurs émotions et on comprend mal la précision de leurs perceptions. Bienvenue dans le monde paradoxal de la douance, où le génie rencontre l’hypersensibilité.


Il est 7:00 am, je me prépare un smoothie et démarre le Nutribullet. Comme à chaque fois, mon bébé d’un peu plus d’un an se met à hurler en se couvrant les oreilles avec ses petites mains. J’ai tout essayé pour l’habituer à ce genre de bruit, sans grand succès. Ensuite, avec une persévérance quotidienne, je dépose sur sa tablette quelques fruits frais qu'il ne mange jamais, sauf si les bananes sont servies dans un bol séparé avec un ustensile pour ne pas se salir les mains. Sésame Street joue à la télé et j’entends fiston nommer très clairement chaque lettre et chiffre qu'il voit apparaître à l’écran. Il en a la capacité depuis l’âge de 12 mois, bien que son vocabulaire se limite encore à peu de mots. J’avale le smoothie, en m’offrant quelques secondes de repos mental malgré la voix d’Elmo qui chante un peu trop gaiement. Ma prochaine mission est de changer la couche de fiston et de l’habiller. C’est l’hiver, les lingettes sont froides et je n’ai pas jugé nécessaire l’utilisation d’un chauffe-lingettes. Il se tortille au contact du tissus mouillé, se tord, se débat et hurle dès que je tente d’enfiler son jeans. Je réussis enfin, avec l’impression de sortir d’un combat ultime, fière mais déçue de ne pas réussir à tout faire ça sans générer une crise. Il me regarde, encore tout rouge d’avoir crié autant. Je tente de le prendre pour le réconforter, mais ça ne dure pas longtemps. Il n’a jamais supporté un long contact physique et se remet donc debout rapidement pour aller chercher la boite à bijoux qu'il aime tant classer. On se prépare à partir faire un achat au centre commercial, alors le combat recommence pour l’enfilage des vêtements d’hiver. On part enfin, non sans que je ne croise mon reflet qui me renvoie l’image d’une autre personne tant j’ai négligé de me préparer. Dans la voiture, je mets de la musique à bas volume, mais la ferme immédiatement quand il se remet à crier. Arrivée à destination, je franchis l’entrée avec ma poussette qui accroche dans la gadoue et je sacre en silence. Après quelques secondes dans la première boutique, mon fils se met encore à hurler. Je présume qu'il a chaud dans son habit d’hiver, je lui retire donc et tente de poursuivre mon magasinage. Il recommence. Je sors donc une petite collation pour l’occuper. Il en mange quelques morceaux et la lance en poursuivant ses vocalises. Je fais un inventaire mental des besoins possiblement non comblés qu'il pourrait avoir….tout a été adressé. Je me décourage et ressors du magasin en réalisant qu’on me regarde avec un mélange de pitié et de mépris. Je ne sais pas si ça concerne le comportement de mon enfant ou l’état de mes cheveux. Quoi qu'il en soit, les cris et les pleurs cessent presque immédiatement. Après le même résultat dans deux boutiques, je retourne à la maison, frustrée.


Mon fils a parlé tard, il avait presque 3 ans quand il a ouvert la bouche pour faire une phrase de 5 mots. « Maman, je veux ma doudou! ». À ce moment, j’avais déjà commencé à recevoir plein de jugements aussi loufoques les uns que les autres quant à ses réactions démesurées et à son rythme différent sur divers apprentissages. « Il est peut-être sourd! », « Il est paresseux et trop gâté! », « Tu devrais l’envoyer à la garderie c'est pour ça qu'il parle pas, moi la mienne parlait à 1 an! ».  Parlons-en de la garderie. Pour certains enfants hypersensibles, c’est un lieu  désagréable où l’on parle trop fort, où les mélanges d’odeurs peuvent être souffrants, où l’on doit socialiser tout en se sentant envahis, où l’on brise nos jouets et déchire nos dessins. J’ai donc trouvé une autre alternative. Malgré toutes les suppositions, son langage s’est rapidement amélioré, même sans garderie ni enfant de son âge. À l’aube de ses 4 ans, il  s’exprimait en deux langues, avec une chronologie et un vocabulaire plus précis que ceux de certains adultes. Les soi-disants experts de mon entourage semblaient soudainement sans explication logique: « Ben coudonc! Y’attendait d’être certain de son affaire! ». Fréquemment, mon fils, après avoir socialisé, devenait épuisé, soit devant l’ignorance des autres ou suite à l’abondance de sensations à gérer. Il me demandait alors sa suce et allait se reposer un temps. Parce que la douance chez les enfants, c’est une contradiction entre capacités extraordinaires et besoins particuliers, entre génie et irrégularité émotionnelle, entre énergie débordante et fatigue intense, entre très grand mais si petit.


Suite à une évaluation professionnelle menant au diagnostic de douance, TDAH et trouble anxieux,  j’ai compris pourquoi les sons étaient si blessants pour lui, pourquoi ça lui semblait insupportable d’avoir les mains sales et pourquoi chaque petite habitude devait être respectée dans un ordre parfait. C’est aussi à ce moment que j’ai saisi, que ce n’était pas moi qui n’était pas à la hauteur et que je devais cesser d’écouter les autres. J’ai réalisé, que mon petit vieillard des temps modernes, qui aurait facilement pu se prénommer Rodrigue ou Fernand, était habité par un amalgame de sensations et de sentiments des plus aiguisés et qu’il était doté d’une conscience si grande, que ça le menait vers un trouble d’anxiété. Par-dessus tout, j’ai la certitude que ces petits esprits dits surdoués, nous réapprennent comment voir la vie avec attention et que c’est un cadeau non espéré, mais inestimable que d’être maman d’un enfant atypique.

 

Leah J. Hamilton

Collaboratrice pour Pastel Ludique

 

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